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TROISIÈME PARTIE

ville, deux ou trois membres du Cercle s’y risquèrent à leur tour, mais on ne joua point aux cartes : on ne se sentait pas suffisamment rassuré.

Bientôt, lorsque les fugitifs envahirent la cité, ces messieurs décampèrent un à un. De nouveau, Barnabé resta seul à fumer sa longue pipe de terre dans les salles vides, et, gardien des traditions anciennes, il fit, comme d’habitude, sa partie de billard. Il joua pour le colonel absent, avec une scrupuleuse bonne foi, et se battit de quinze points en cinquante.

Un beau soir, entrèrent des officiers anglais. Barnabé s’attendit à des vexations. Résolu d’y résister avec une ferme politesse, il alluma un cigare et s’incrusta dans son fauteuil. Mais les Anglais le saluèrent, puis, s’étant mis à l’aise, lui donnèrent aussi peu d’attention que s’il eût fait partie du mobilier. De son côté, il feignit de ne point remarquer leur présence, et, comme devant, il s’absorba dans la Revue de Paris.

La situation, toutefois, s’aggravait rapidement.

— Si j’étais de vous, conseilla Sylvain, je partirais avec Nanette.

— Jamais ! protesta le vieillard.

À quatre-vingt quatre ans, que lui importait la vie ? S’il devait attendre la mort, il l’attendrait dans sa maison ; car il prétendait ne point quitter la ville, fût-elle de nouveau envahie par les Allemands.

Déjà les canons lointains apportaient comme une rumeur d’orage ; on apercevait des éponges de fumée, un peu partout, à l’horizon.