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L’EXODE

Jusqu’à ce jour, il n’avait connu que le travail solitaire, les repas au restaurant, les flâneries au café, le carnet de la blanchisseuse, les mille ennuis d’un ménage de garçon, et, au lieu d’amour, le souvenir écœuré des lendemains de débauche…

Un petit héritage lui permit d’épouser Marthe et de se consacrer à la littérature. Ils habitèrent à la campagne, où ils furent parfaitement heureux.

Quand l’habitude les rendit moins sensibles à des joies qu’ils croyaient inépuisables, la naissance d’une enfant leur apporta le souci de l’avenir.

— Mon adoré, dit Marthe, notre premier budget montre un déficit de 1,500 francs, le deuxième de 1,120, le troisième de 510. Il est probable que l’année prochaine j’équilibrerai la recette et la dépense ; mais, comme la recette provient surtout de tes économies, je t’avertis qu’elles sont épuisées.

Philippe comprit qu’il faut des rentes pour écrire des romans.

Afin de se dévouer à son art, il eût vécu dans un grenier ; mais il ne pouvait décemment y inviter sa femme. Tout aimante qu’elle fût, elle ne s’intéressait point aux ambitions de Philippe, à des conceptions aussi nébuleuses que la gloire ou l’amour abstrait de l’humanité. Elle aimait son mari pour lui-même et donnait de l’importance aux réalités de son ménage : l’enfant, le loyer, le prix de la robe dont elle avait grand besoin.

Philippe retourna donc à l’usine et reprit en soupirant le collier de la nécessité.