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L’EXODE

campagne, d’où jaillissaient des fontaines de terre qui retombaient d’un seul coup.

S’appuyant sur sa canne, Barnabé, libre enfin, se dirigea vers la ville où on l’empêchait de se rendre depuis si longtemps.

Comme il parvenait près d’un sentier, des soldats, du seuil d’une ferme, lui crièrent de rebrousser chemin, étonnés de la folie de ce vieux qui se promenait sous les bombes.

Leurs cris se perdirent dans le roulement de la canonnade.

Vers le soir, ils se remirent en route, le bombardement s’étant apaisé.

En arrivant aux remparts, ils trouvèrent un vieux bourgeois étendu la face contre terre, sur le bord d’un fossé. Sa canne et son large feutre étaient tombés dans l’eau. Un arbre, cassé à mi-hauteur, montrait qu’un obus avait éclaté non loin de là. Pourtant, le vieillard ne portait aucune blessure. On prit dans ses poches un portefeuille bourré de lettres jaunies et le portrait d’une grosse dame, dont la coiffure en tonnelets fit sourire les soldats.

Quand il vint pour chercher son père, le Dr  Claveaux apprit qu’on l’avait enterré près des remparts.

Sans doute, son âme ingénue y voltige-t-elle encore, car il est certain qu’elle refusera d’aller en paradis aussi longtemps que le carillon de sa bonne ville ne chantera point de nouveau sa vieille chanson du souvenir et des temps heureux de la liberté !