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L’EXODE

Au devant de l’armée régulière, qui résistait encore, un torrent de soldats et de civils envahit La Panne. Un flot noir passait devant la mer : celui des fugitifs, chassés des villages en ruines et des villes incendiées par les envahisseurs ; un autre s’écoulait au long de la route, avec un bruit sourd et monotone.

Bientôt la digue en fut toute submergée, puis les rues, les cabines, les terrasses des villas. C’était une interminable confusion de voitures, de chariots, de chevaux, de bétail, de civils et de soldats. Des femmes, trébuchant de fatigue, se retenaient aux ridelles des charrettes ou se laissaient tomber au bord du chemin ; des cavaliers dormaient en selle ; des religieuses passaient, en priant, le front baissé ; des baigneurs, surpris par la tourmente, suivaient, en souliers de plage, une carriole chargée de colis. On voyait des paysannes endimanchées assises parmi des meubles, un parapluie entre les genoux et déchevelées par le vent de mer. Des gardes civiques tiraient le pas vers la France, espérant y gagner leur pain ; des chiens, bavant de soif, haletaient devant des brouettes, où l’on avait mis un vieux, un malade, un enfant.

Partout, des chevaux, des vaches, des moutons, des porcs se mêlaient à cette humanité confuse, réduite à l’état nomade, comme au temps des premiers barbares, des grands cataclysmes de l’histoire. Et le claquement des fouets, le meuglement des bœufs, les cris, les plaintes, les jurons s’élevaient dans le bruit monotone des pieds fatigués se tramant sur la route. Une pous-