Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/198

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
197
TROISIÈME PARTIE

aimables qu’il connût. Sans être grand lecteur ni savant, M. Forestier aimait les livres, la science, notamment la botanique, dont il était grand amateur. Sur le conseil de Philippe, il étudiait les plantes, afin d’y découvrir des phénomènes de coopération, l’écrivain s’étant exalté pour les ouvrages de Kropotkine, lequel montrait dans le monde animal les innombrables bénéfices de l’entr’aide et de la sociabilité.

Bien qu’assez riche, M. Forestier était généreux. Il répandait sim sa famille, sur son prochain la bienveillance d’une âme optimiste, naturellement obligeante et qui ne se croyait pas dupe en se confiant à la bonté.

M. Grassoux raillait parfois son humeur bonasse. Mais M. Forestier souriait avec finesse, quand l’industriel parlait de « sens pratique » et du « goût de l’action » qu’avaient élevé à la hauteur d’une philosophie les Anglais de l’ancienne école et les Allemands de la nouvelle. Sans avoir lu Goethe, il prétendait modestement qu’il est plus facile d’agir que de penser. Et il s’accordait avec Philippe à voir dans cette guerre l’ultime résultat de cette folie d’action désordonnée, de ce culte de l’énergie, qui n’est en somme que l’effort musculaire de la bête humaine, la ruée du matérialisme contre l’esprit.

Pauvre M. Forestier, quelle ne fut point sa douleur, quand l’armée belge en déroute se replia sur l’Yser ! Cette fois, il s’éveilla de son rêve bucolique, et le monde réel lui apparut dans la souffrance et l’horreur.