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Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/218

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mains à la poitrine, saluant, à droite, à gauche tous ces gens qui la regardaient passer. Un boiteux, sautillant, qui avait perdu sa béquille, s’appuyait à l’épaule d’un ouvrier ; des femmes du peuple, nu-tête, rassemblaient leurs besaces et leur traînée d’enfants ; une petite bourgeoise n’avait emporté que son parapluie. Ils avaient tous le même regard craintif, la même attitude modeste, la même peur de cette ville inconnue, dont ils ignoraient la langue, et où, dès le premier pas, ils se sentaient si dépaysés !…

Lucienne était chargée de les conduire au Refuge des Belges, installé dans une sombre école de la ville basse, où chacun se dévouait de son mieux.

Sur le plancher des classes vides, on avait jeté des matelas ; dans les caves, on préparait des hectolitres de café. Le préau servait à différents offices : bons de logement, de repas, de chemin de fer, bureau de renseignements, distribution de vieux habits.

C’était là que se voyait à nu la misère des fugitifs. Surpris par la tourmente, ils y venaient les mains vides, ne sachant où aller : une bonne en tablier blanc, telle que la panique l’avait chassée ; une paysanne en sabots, qui s’était enfuie des champs ; des soldats sans souliers, sous une capote française ou le manteau d’un Allemand ; des bourgeoises, baissant la tête, qui venaient demander une paire de bas… Sans se lasser, les dames anglaises distribuaient le monceau de vêtements que la charité accumulait dans cet asile.