Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/219

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Jamais la fatigue n’éteignait leur sourire, jamais leur patience ne s’épuisait à secourir ce dénuement.

Aussi Lucienne, qui servait d’interprète, se prenait-elle d’admiration pour ces femmes qu’elle voyait heureuses d’être utiles, de se dévouer, d’atténuer ainsi les souffrances de la guerre…

Dans le préau, des bouts de papier couvraient un des murs, épinglés à des ficelles tendues : lettres, cartes postales, billets au crayon…

Celui-ci donnait son adresse ; un autre demandait celle de sa fille, que l’on ne retrouvait pas ; un autre encore offrait des leçons de musique : piano, violon, solfège, à six pence le cachet…

Devant ces papiers, de jour en jour plus nombreux, venaient se presser des visages pâles, marqués de cette fanure particulière aux réfugiés et d’une inquiétude qui leur cernait les yeux.

Quelques heureux se retrouvaient, en lisant ces billets pathétiques. Mais, combien de solitaires s’en allaient désespérés ! Combien chercheront en vain les êtres chers qu’ils ont perdus ! Les journaux publieront leurs appels sans écho ; à la fin, ils apprendront que leur fils est mort, que leur femme a été violée, que leur fille a disparu, après le passage des Allemands.

Au milieu de toutes ces infortunes, Lucienne goûtait une consolation. Pour la première fois, elle sortait de ce purgatoire tiède et gris où elle avait bâillé une existence convenable et inutile de « jeune fille bien élevée ». Elle avait jusqu’alors vécu dans l’étouffement moral et