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QUATRIÈME PARTIE

Mme Fontanet eût préféré le séjour. Lucienne se savait utile au Refuge, où elle trouvait à répandre ce sentiment d’altruisme qu’elle n’avait pu satisfaire en amour.

Bientôt, la débâcle d’Anvers apporta une telle affluence de fugitifs que le Refuge en fut débordé. Lucienne eut à conduire des troupeaux de malheureux à la recherche d’un logement. Ils couchaient par terre, dans les églises, dans les salles vides des cinémas, et les malles de nuit en apportaient par milliers, qu’il fallait retenir à bord et dans la gare, tant la ville s’en trouvait encombrée.

Au Refuge, dans l’innombrable masse des petites gens que l’on ne remarque pas, Lucienne reconnut un vieillard en pelisse, industriel millionnaire, soudain ruiné par le bombardement. Une carte à la main, il attendait son tour de réfectoire, dans la queue d’affamés qui s’allongeait devant les cuisines…

Sur un paquet de linge, une paysanne était assise, les coudes aux genoux, le regard baissé. À côté d’elle, un garçon de quinze ans s’épaulait au mur, les mains dans les poches. Timides et farouches, ils demeuraient à l’écart, échoués dans un coin, comme deux épaves.

Sans répondre aux questions de Lucienne, la femme gardait un visage de bois, les yeux fixés sur le plancher boueux, indifférente à ce qui se passait autour d’elle.

Moins accablé, le garçon ne se refusa point aux avances de la jeune fille. Sa mère, fit-il connaître, pos-