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l’exode

la bestialité triomphante, les pauvres Belges piétinés par les Allemands. Pourtant, au milieu de ce désert d’égoïsme, une oasis : le Refuge.

Là, du moins, la nature humaine révélait quelque beauté.

Oh ! l’on y pataugeait dans l’improvisation et le gâchis ; le désordre et le hasard présidaient au destin des misérables fugitifs, mais on y éprouvait un sentiment consolateur à constater que la pitié, le dévouement n’étaient pas des illusions.

Dans le mensonge universel, dans l’écœurant matérialisme dont elle s’était tant de fois désolée, elle voyait Mrs  Wood, Miss Green, quelques autres femmes chercher le bonheur dans l’oubli d’elles-mêmes, secourir les faibles, les innocentes victimes des forts, et combattre de tout leur courage « la puissance aveugle du destin ».

Quel dommage, pensait-elle, qu’il ne soit pas ici ! Il verrait s’accomplir l’utopie du roman dont il rêvait à Lugano, la pitié, la charité exaltant tout un peuple, la conscience humaine s’élevant à des hauteurs que l’on croyait inaccessibles… Et, chaque jour, à l’heure des malles, elle venait au port dans l’espoir d’y rencontrer Philippe.

Puis, chaque soir, en retournant à la pension de famille, où sa mère inquiète la grondait de rentrer si tard, elle éprouvait la satisfaction qui nous vient d’une journée bien remplie.

Aussi se refusait-elle à partir pour la France, dont