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L’EXODE

modestement s’étire par-dessus des peupliers. Un hôtel, avec terrasse en balustrade, se réfléchit dans l’eau sombre et luisante, où des cygnes nonchalants se laissent pousser par la brise…

Les Héloir avaient retenu des chambres donnant vue sur le lac. Celle de Lucienne communiquait avec la leur par une galerie couverte, dont les arceaux encadraient la profonde perspective du paysage. Cette galerie, meublée d’une table et de fauteuils d’osier, enchanta Philippe, qui s’y réfugiait à l’abri des fâcheux. Après la promenade, il s’y reposait à lire ou à causer avec Lucienne, tandis que Lysette courait, on ne savait où, et que Marthe s’occupait à coudre, à compter la dépense, tant l’habitude lui était acquise d’une incessante activité.

Il s’en fallait, pourtant, qu’elle eût toujours baissé les yeux vers les réalités prosaïques. Dans sa jeunesse, elle avait été fort sentimentale, et ses rendez-vous avec Philippe, dans les bois et les bruyères de la Campine, lui laissaient encore un souvenir ensoleillé. Ce n’était pas faute si ce bel amour avait dû se tirer d’affaires au milieu de soucis de ménage, de travaux ennuyeux, de besoins d’argent. Philippe, du moins, lui conservait une affection reconnaissante, en mémoire des mauvais jours qu’elle avait traversés sans se plaindre. Elle pardonnait à son mari ses inégalités d’humeur, en raison des espérances qu’il avait sacrifiées pour elle. Reportant sur Lysette le meilleur de sa tendresse, elle ne souffrait plus de ces vagues désirs dont tant de femmes