Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
230
L’EXODE

quèrent la terrasse de l’hôtel à Gerseau, l’heure délicieuse devant l’église où leurs deux âmes s’étaient pressenties, le cimetière de Morcote, où ils avaient eu peur de s’avouer leur amour.

Après un coup d’œil d’indulgente ironie, Lucienne demanda, les mains croisées autour des genoux :

— Pourquoi n’osiez-vous pas, Philippe ? Vous deviez savoir, pourtant, que cela m’était clair comme le jour.

— Je le savais. Et cependant, il y avait un abîme entre cette certitude et un aveu. Je n’ai pas eu le courage de le franchir.

— Mais, pourquoi ?

— C’est que je vous croyais une de ces femmes d’amour… Il y en a tant pour qui l’amour est toute la vie. Et je n’avais plus l’âge où l’on se contente des seules aventures de l’amour. Puis il y avait Marthe…

— Oh ! je n’étais pas si égoïste que vous le pensiez.

— Je le crois. Mais Marthe est une de ces femmes qui plus elles sont jalouses, plus elles croient aimer. Elle aurait souffert sans comprendre, et nous aurions été malheureux.

— Avouez, Philippe, que nous n’étions pas coupables d’aimer… quand on voit ce qui se passe !

— Non, nous n’étions pas coupables. Mais, que voulez-vous ! Il n’y a pas de place en ce monde pour un amour comme celui dont nous rêvions, parce qu’il n’y a pas pour deux sous de franchise et de logique parmi les hommes… Aussi, comme cette civilisation a fait