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QUATRIÈME PARTIE

banqueroute à ses promesses !… Tout le vieux monde a fait banqueroute, la religion, l’Etat, le capitalisme… et l’amour, comme le reste… Le mot d’ordre était : chacun pour soi. Et l’on ne se sentait jamais plus seul, plus triste, plus faible que dans une foule. On s’y perdait, comme dans une mer d’égoïsme — une mer infestée de requins. Et il y régnait une morale de requins : mangez-vous les uns les autres… la vie est un combat… Soyez forts ! Vive l’énergie ! Mais, malheur aux faibles ! … Et Dieu sait s’ils sont nombreux !…

S’interrompant, il regarda un petit vieux qui, devant la table du comité, racontait sans doute une pauvre histoire. Le chapeau contre la poitrine et les mains nerveuses, il avait l’air humble, timide, agité.

En face de lui, un Anglais, debout, les doigts appuyés sur son pupitre, écoutait, sans impatience ni sympathie, ce solliciteur, pareil à des milliers d’autres qui venaient s’échouer là.

— Voici un de ces faibles, dit Philippe. Que voulez-vous qu’il fasse contre les circonstances ? Est-ce sa faute, s’il est réduit à la misère ? Et ce monsieur, qui garde une sereine attitude en face de ce crâne humilié, qu’a-t-il fait pour mériter l’honneur de remplacer la Providence ?… Etions-nous assez naïfs, à Gerseau, de discuter de l’importance du caractère ! Comme si l’individu avait encore la moindre valeur !…

Et, se levant, il tendit la main :

— Venez, plutôt ! Je ne puis supporter la vue de ce mendiant.