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QUATRIÈME PARTIE

demeuré en position de salut ; pas un muscle n’a remué de sa figure d’esclave. La correction reçue, il a continué son chemin… Les Allemands appellent ça la discipline. Moi, j’appelle ça le dernier terme de l’avilissement… Quand on en arrive là, on est au-dessous de la bête… Cravaché de la sorte, un chien même étranglerait son maître.

— Voyons, Philippe, calmez-vous ! On vous regarde. Ils traversaient les petites rues tortueuses du quartier des pêcheurs. Des hommes, en chapeau goudronné, se tournaient vers cet inconnu, qui semblait quereller sa femme.

— Qu’importe ! dit Philippe.

Et il développa cette idée que la guerre est le résultat du système qui consiste à faire de nous des machines à obéir :

— Pour ma part, je n’obéis plus qu’à ma conscience, quoi qu’il advienne, quoi qu’il puisse m’en coûter. Sinon, la vie ne vaut plus la peine d’être vécue… Et je ne vis plus que pour une raison : pour servir la vérité… la crier, la hurler, s’il le faut. On me bâillonnera, tant pis pour moi ! Je ne compte pas… D’ailleurs, c’est bien le moins que les civils fassent quelque chose, ne fût-ce que museler ces prêcheurs de guerres saintes, qui envoient les autres se faire tuer pour eux.

Lucienne l’avait laissé dire, sachant d’expérience que l’exaltation de Philippe s’épuisait vite, si l’on se gardait de l’entretenir par la contradiction. Aussi le laissa-t-elle répandre son amertume.