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QUATRIÈME PARTIE

Cette perspective indignait le Dr  Claveaux. La guerre l’avait précipité du confort et de la quiétude aux hasards d’une existence errante. À cinquante ans, il se voyait ruiné, sans espoir de retourner à Ypres et d’y rétablir sa fortune. Le chagrin l’avait rendu bilieux.

— Je comprends, disait-il à Philippe, que vous espériez encore. Votre maison vous reste, votre argent, votre mobilier. Vous les retrouverez après la guerre… Pour moi, toute la vie est à recommencer. Ypres est détruit, ma maison anéantie, ma carrière brisée. Même si la guerre finissait demain, je n’en serais pas moins sur le pavé. Aussi n’ai-je pas l’intention de traîner ici davantage. Il faut que je trouve de la besogne, et je voudrais bien voir si messieurs les Anglais se refuseront à m’en procurer.

Pour combler le vide et la longueur des jours, il allait chaque matin devant l’Hôtel de ville attendre Philippe et M. Van Weert.

Les réfugiés y venaient lire les dépêches, discuter le journal et parler du Big Push qui, au printemps, conduirait les Alliés à Berlin.

Le Dr  Claveaux, sombre et amer, montrait du geste le placard officiel où Kitchener demandait trois cent mille hommes.

— De ce train-là, disait-il, ces messieurs prendront dix ans pour aller à Berlin.

Et, répliquant à ses contradicteurs, il tirait de sa poche un numéro du Daily Mail, où il trouvait l’expression de ses propres inquiétudes.