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QUATRIÈME PARTIE

regardait les derniers arrivés, faisant queue à la porte du changeur, et l’on s’étonnait de rencontrer tant de Belges, sans jamais voir celui qu’on attendait.

Certains jours, des groupes de nos soldats, loqueteux et boitant, retournaient vers le port, conduits par un vieil officier qui les renvoyait à la bataille. La promenade, alors, s’achevait en silence. On pensait aux malheureux qu’ils allaient rejoindre dans les tranchées glaciales de l’Yser, aux compatriotes restés au pays, sous le talon des Allemands ; on s’attristait sur son propre sort, on s’inquiétait de l’avenir, enfin, l’on retournait vers l’Hôtel de ville, espérant une dépêche, la nouvelle d’une victoire qui, tout à coup, mettrait fin à la mélancolie de l’exil.

Un jour que Philippe et Sylvain se promenaient à la rencontre de M. Van Weert, ils l’aperçurent au coin d’une rue, immobile, son carreau dans l’œil, et qui regardait du côté de la mer.

— Charmé… fit-il, en leur serrant la main.

Rajustant son monocle sous un pâle sourcil relevé, il reprit aussitôt :

— Regardez donc ! Ne dirait-on pas des Peaux-Rouges à l’affût ?… Voilà un bon quart d’heure que j’observe les Grassoux, et j’en suis à me demander s’ils ont perdu la tête !

On ne voyait sur le fond de la mer qu’un banc de la digue, où un vieillard était assis, les genoux croisés. Et, les mains dans les poches de son pardessus, la casquette sur les yeux, le collet relevé, il contemplait l’horizon