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L’EXODE

gardaient une attitude fière, qui ne laissait rien deviner de leur humiliation.

Pauvre Marthe ! Pauvre Lysette ! L’été précédent, elles attendaient aussi, mais impatientes et joyeuses, un train qui tardait à venir. C’était à Bruxelles, au temps des vacances. Elles allaient partir pour les lacs bleus de la Suisse ; la gare semblait en fête, et chacun se hâtait vers le bonheur.

En ce temps-là, bien qu’il vécût dans le confort matériel, Philippe n’était pas heureux. Une mélancolie le suivait, indéfinissable, mais qui sans doute était la rançon d’une existence où rien de grand ne comblait ses désirs. Ce passé, dont il regrettait la douceur, laissait en lui beaucoup d’amertume, et ce n’était qu’en raison des inquiétudes présentes qu’il eût aimé le revivre.

À dire vrai, il s’était ennuyé dans le bonheur, parce que ce bonheur ne dépassait point les murs de son jardin.

À présent, malgré sa déchéance, il ne perdait pas courage. Quelque chose de nouveau relevait son espoir : le sentiment consolateur de l’humaine solidarité. Ce sentiment, jusqu’alors théorique, il le voyait naître autour de lui, devenir une réalité. Il voyait que le sort des Belges émouvait la conscience universelle, qu’une grande injustice avait été commise et que le monde entier en condamnait les auteurs.

Aussi tenait-il les Allemands vaincus d’avance, malgré leurs canons, leur morale de la force et leur