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PREMIÈRE PARTIE

— Que voulez-vous que ce soit ?

— Je ne sais… Vos idées, probablement…

— Peut-être avez-vous raison… Ce soir, à cause de ces chanteurs, je regrette le temps où j’étais musicien… Et je ne me pardonne pas d’avoir abandonné la musique… Aussi, ne suis-je pas très fier de moi… Ma vie, en somme, n’a été qu’une succession de défaillances… Pourtant, ce n’est pas la volonté qui m’a fait défaut… Mais les circonstances étaient toujours en opposition avec mes désirs. J’avais à penser aux autres, avant de pouvoir penser à moi-même.

Lucienne repartit, non sans amertume :

— Que voulez-vous ? En ce monde, on ne fait pas ce qu’on veut.

— Je le sais, mais cela ne me console guère. Et vous trouverez des esprits forts pour se moquer des gens qui s’embarrassent dans les scrupules.

— Peut-être ont-ils raison.

— Croyez-vous ?

— Pour ma part, je méprise quelquefois les miens, car je ne suis pas très fière non plus de l’existence que je mène.

— Ce n’est pourtant ni l’argent ni la liberté qui vous manquent.

— Pardon ! C’est l’un et l’autre. Mon argent, je ne puis en disposer sans ma mère. Quant à ma liberté, parlons-en ! Je préférerais cent fois me suffire à moi-même, par mon travail, ne dépendre de personne, penser avec mon propre cerveau, agir avec ma propre