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L’EXODE

volonté, assumer la responsabilité de mes actions, en subir toutes les conséquences… Voilà ce que j’appelle vivre.

Malheureusement, elle ne se sentait pas la force d’affirmer son indépendance. La révolte lui répugnait pour des raisons de droiture. Comme Philippe, elle ne voulait pas fonder son bonheur sur le chagrin d’autrui. Elle se résignait donc à l’automatisme d’une existence gouvernée par sa mère, mais elle s’y résignait mal.

— Maman me traite comme son beau chat de Perse, qu’elle adore au point de l’enfermer jour et nuit. Depuis dix ans, Matouche n’a plus mis le bout du nez à la rue. Pensez donc, s’il s’enfuyait ! Passe encore pour un chat de gouttière, mais un chat de luxe, un chat persan !

Lucienne parlait ainsi, quand un joueur de guitare vint tendre sa sébille et, fier comme un bellâtre qui ne se fût point embarrassé de scrupules, il coula vers la jeune femme un regard avantageux.

— Est-ce qu’il se fait tard ? demanda-t-elle à Philippe.

— Neuf heures… Voulez-vous rentrer ?

— Moi non… mais, s’il est temps pour vous, je suis prête.

La pluie tombait plus fine, les roulements de l’orage s’éloignaient à mesure, on pouvait donc s’en aller. Philippe, néanmoins, proposa de rester encore.

— Et Marthe ?

— Elle doit s’être couchée.

— Sans vous attendre ?