Aller au contenu

Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
34
L’EXODE

jardin. Elle s’avançait sur une route sablonneuse, entre des bruyères ; elle interrogeait les environs, pour voir si on ne la suivait pas… Dans le bois, des lieues de silence nous séparaient du monde. Les sauterelles vibraient. C’était l’été. J’entends encore le bourdonnement des abeilles, je revois la vibration du soleil sur le sable des landes… Le vent inclinait les fougères, comme la traîne d’une robe qui passe… Dieu ! qu’il faisait beau ! Le ciel était d’un bleu dont je ne reverrai plus la nuance, car je n’ai plus mes yeux de vingt ans pour voir le divin dans les choses…

Un moment, il s’arrêta, évoquant des images dans la fumée de sa cigarette.

— Le soir, continua-t-il, quand l’ombre des arbres s’allongeait et que l’obscurité entrait dans le bois, Marthe s’en allait vite. Je la suivais du regard, toute cernée d’or par le couchant… Après, le désir de la revoir me traversait comme une folie, je rôdais la nuit autour de sa maison, rien que pour contempler les fenêtres de sa chambre… Une de ces nuits-là, elle est descendue, et, comme un voleur, j’ai franchi la barrière du jardin…

Il se tut, oppressé par ces souvenirs.

— Continuez ! murmura Lucienne, les yeux grands ouverts et fixés sur les siens.

— À quoi bon ! ça ne se raconte pas.

— Je vous en prie !… Vous êtes restés toute la nuit au jardin ?

— Toute la nuit… sur un banc, au fond d’une