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PREMIÈRE PARTIE

charmille. Elle avait emporté un manteau de fourrure, dont nous nous sommes enveloppés… C’était à l’époque des sureaux ; il y en avait un près de nous. Son parfum se mêle encore dans mon souvenir à l’odeur de cette fourrure…

De nouveau, il se tut ; puis il soupira :

— Je n’ai jamais été plus heureux !

À l’intérieur du cabaret, les mandolines frémirent ; un baryton chantait le prélude de Paillasse ; on entendait le bruit sourd et rythmé du dernier bateau abordant au village. À l’horizon, des lueurs s’exhalaient encore…

— Et vous croyez que vous ne l’aimez plus ?

— C’est à dire… Des images de ce temps nous restent, comme une vieille dorure, un souvenir d’ancienne splendeur… Autrefois, nous n’avions pas de secrets l’un pour l’autre. J’écrivais à Marthe des lettres de vingt pages, à peu près tous les jours. Mais, en nous, la source des confidences est tarie. Je ne puis même plus écrire en présence de Marthe ; à l’idée qu’elle se pencherait sur mon épaule, je m’arrête ; il me devient impossible de penser… Autrefois, c’était le contraire ; Marthe m’inspirait. Quel courage aussi je me sentais alors !

Lucienne se leva, et, tandis que Philippe l’aidait à passer son manteau :

— Tout cela est bien triste ! soupira-t-elle.

— Pourquoi ?… La vie n’est pas toute en bonheur.

— Je le sais… mais je me souviens que vous avez