Aller au contenu

Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/40

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
PREMIÈRE PARTIE

véritables, et moins intéressante que celle d’une ouvrière.

Malheureusement, lorsque Lucienne parlait de s’employer à quelque chose, de se suffire, d’être indépendante, maîtresse de sa vie, Mme Fontanet levait les bras au ciel : une jeune fille bien née ne pouvait qu’attendre un mari, épouser un jeune homme de bonne famille, d’un rang égal au sien, et dont la position permettait de « faire figure dans la société ». Hors de là, point de salut !…

Un soir que l’on rentrait de promenade et que Lucienne, à nouveau, s’était plainte, Mme Fontanet s’écria :

— Elle est comme la chèvre de M. Seguin ! Elle se croit attachée de trop court et elle voudrait gambader dans la montagne.

Marthe sourit :

— Elle n’a donc pas peur du loup ?

Quand Philippe et Lucienne se trouvèrent seuls, il fut question de la chèvre « que le loup dévora ».

— Quelle idée aussi de vouloir sortir du petit enclos !

— N’est-ce pas ? Au lieu de se dresser sur deux pattes et de regarder par-dessus le mur !

Au bord du lac, un étroit jardin dépendait de l’hôtel. On y allait, en traversant la route, jouir du calme de la nuit approchante et de la magie des lumières qui se jouaient sur l’eau. Sur l’autre rive, dans la montagne, les villas s’éclairaient une à une ; les lanternes des barques pailletaient d’argent le voile bleu du lac ; des