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L’EXODE

bateaux illuminés glissaient, silencieux ; d’autres, s’arrêtant, laissaient couler une frange d’or en fusion. Par ces beaux soirs, on devenait sensible à la première étoile, à la douceur de l’air vaguement parfumé, on cédait avec mollesse à l’appel mystérieux de la nature.

Les bourgeois ne parlaient plus du cours de la Bourse. Ils s’entrebâillaient à la splendeur du paysage, et, le cigare allumé, s’accordaient un moment de contemplation.

Sur un banc voisin des Héloir, une famille italienne répandait son importance. Le père mâchonnait un cure-dents, les genoux croisés et les mains dans les poches ; la mère, énorme et toute illustrée de bijoux, consentait à baisser la voix en faveur du silence ; la fille, une « beauté », se résignait mal aux lanternes du jardin. Aussi se leva-t-elle bientôt, comme une jeune reine dédaigneuse, afin de regagner les salons de l’hôtel, où l’attendait l’admiration de ses courtisans.

Une figure de cire eût été moins correcte. Elle en avait la froideur, le teint surprenant, la coiffure irréprochable.

— Elle serait parfaite, si on lui voyait un défaut.

— Oh ! moi, je plains le monsieur qui l’épousera.

— Pourquoi ? Il ne sera qu’un sot.

— À mon avis, la jeune Anglaise est plus finement jolie.

On se tournait alors vers un autre banc, où la jeune Anglaise, à l’écart, se voyait en compagnie d’un homme plus âgé qu’elle et qui semblait l’aimer avec passion.