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L’EXODE

sayer de vous revoir. J’aurais voulu, pourtant, vous embrasser avant de mourir et vous demander pardon, car j’espère que vous me pardonnerez. Mon crime est celui de la plupart des hommes qui pensent à eux d’abord, aux autres ensuite. Je souffre seulement de vous avoir fait tant de peine ; mais, je le répète, c’était plus fort que moi.

« Ne repoussez donc pas les adieux de votre Harry et de Nora ! Ils meurent heureux, en vous adressant leur dernière pensée. Ne leur soyez pas trop sévère, et gardez leur souvenir. Dites-vous qu’ils sont morts, parce qu’ils n’avaient pas la force de se quitter. »

Philippe replia le papier et le remit à Lucienne. Un moment, il tourna les yeux vers la vie ensoleillée, puis il dit :

— Cette lettre est navrante !

— N’est-ce pas ?… Et quelle sincérité !

— Je plains ce malheureux. Il a dû bien souffrir ! Mais…

— Qui sait s’il est tant à plaindre ?

Surpris par la dureté de sa voix, Philippe considéra Lucienne, qui ajouta, sans le regarder :

— Après tout, il a eu sa part de bonheur.

— Peut-être… En tout cas, il l’a payée cher !

— Qu’importe !

Elle dit cela d’un tel accent résolu que Philippe se demanda si elle avait surmonté ses résistances.

Il reprit, affectant l’ironie :

— Il faut du courage pour mourir ainsi.