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L’EXODE

courage, parfois, pour ne pas commettre une de ces magnifiques lâchetés où j’aurais fait payer à d’autres le prix du bonheur que je convoitais !… Car, tout vieux que je suis, je m’abandonnerais à l’amour avec plus de joies profondes que n’en aurait un homme de vingt ans. Mais je ne suis pas libre… Et puis qu’aurais-je à offrir ?… Une aventure comme celle de ce pauvre Anglais ?… Je le plains, sans l’admirer… Surtout je ne l’imiterais pas. La dissimulation, tout le monde la pratique assidûment, je le sais. Mais elle me dégoûte, et pour une raison peut-être singulière. C’est que j’estime l’amour un sentiment trop beau pour l’enfermer dans un placard… Quant à Marthe, je ne saurais la quitter. Je le voudrais que je n’en aurais pas la force. D’ailleurs, je ne le voudrais pas, je ne pourrais pas… je lui dirais tout, je le sens !… Elle est assez généreuse pour se taire et souffrir en silence… Mais elle ne comprendrait pas… Il faudrait une société nouvelle, des idées nouvelles… Malheureusement, nous vivons dans un temps où la bestialité des multitudes a fait de l’amour une maladie de la peau…

Elle écoutait, la tête basse, les bras écartés, comme pour se retenir du vertige. Autour d’eux, le monde semblait tourner dans la lumière ; le cri monotone des cigales emplissait l’espace.

Il faisait si beau qu’on avait besoin d’aimer. Lucienne, sentait dans tout son être le désir d’étreindre son rêve : cet amour supérieur, sans passion, qui tire l’âme des bas-fonds de l’existence quotidienne pour