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PREMIÈRE PARTIE

avait eu la force de lui résister, parce que la peur l’avait retenu, et l’exemple tragique de l’Anglais…

Celui-là ne s’était pas effrayé des conséquences de son amour. Il avait eu l’égoïste courage de quitter sa femme et ses enfants ! Le malheureux ! Il les aimait pourtant ; il avait le cœur sensible à la souffrance d’autrui ; et, bien que la misère et la mort l’attendissent au bout du chemin qu’il s’était choisi, il n’avait pas hésité à partir !

Certes, on ne pouvait voir en lui un égoïste vulgaire. Il savait que sa femme allait souffrir, mais qu’il souffrirait davantage, qu’il serait le « vrai martyr ». Et, pour quelques jours heureux, il avait donné sa vie ! Il n’était donc point autant qu’il le croyait pareil aux autres hommes. Un homme ordinaire eût caché sa maîtresse ; il eût souri, dans les rues sombres, à la prostitution qui passe, et raillé les angoisses des cœurs honnêtes, ravagés d’amour…

Plus Philippe réfléchissait à cette aventure, plus il y voyait l’asservissement de l’individu aux volontés de l’espèce. Et, par analogie, il se rappela ces nymphéas qui, au printemps, font ressembler les eaux à des ciels pleins d’étoiles, et dont les fleurs mâles, se détachant de leur pédoncule, flottent, poussées par la brise, vers les fiancées immobiles. Celles-ci les attendent, sans rompre le lien qui les attache à la boue nourricière. Passé le temps de la fécondation, elles abaissent les anneaux de leur tige en spirale et se retirent au fond des étangs pour y gonfler leurs fruits.