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L’EXODE

II

Tout est perdu ! L’Allemagne a demandé pour ses troupes un libre passage à travers la Belgique ! Cette nouvelle anéantit les dernières espérances. D’abord, on n’y veut pas croire, on relit les journaux de la veille, les paroles du ministre von Below. Mais il faut se rendre à l’évidence : il a lui-même remis l’ultimatum !

Alors, ce diplomate a menti ?… Nous sommes donc menacés de la guerre ?

Après un moment de stupeur, on court à la rue, voir ce qui se passe et s’interroger les uns les autres. La ville est noire de monde, un même sentiment domine la foule agitée : la colère, l’indignation, la rage, une rage qui se répand comme le feu. Tous les cœurs brûlent ; la peur a disparu ; d’un bond, chacun passe de l’abattement à l’enthousiasme du sacrifice. Des groupes se forment ; on se serre les uns aux autres, avec cet instinct de défense qui unit les faibles à l’heure du danger.

Dans un café, où des consommateurs frappent du poing sur les tables, Philippe, accoudé, relit la nouvelle tragique, les paumes aux oreilles, pour s’isoler des apostrophes et des discours.

Malgré l’affolement de sa pensée, il ricane au style vulgaire de l’ultimatum allemand, à la bassesse du prétexte invoqué, aux phrases tortueuses où les mensonges s’enlacent comme des vipères.