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DEUXIÈME PARTIE

Pauvres soldats ! S’ils savaient qu’ils auront à défendre jusqu’au dernier lambeau du territoire, sans que personne vienne les secourir ; s’ils savaient que leurs femmes et leurs enfants seront chassés le long des routes, leurs villages brûlés, leurs villes détruites, leurs biens anéantis par des brutes ivres de destruction ; s’ils savaient que, derrière eux, les civils massacrés saigneront sur tous les chemins de Flandre et de Wallonie. S’ils savaient !…

Le soir, en descendant vers la ville basse, Philippe se sentit une « âme belge ». Comme tant d’autres, qui n’y croyaient pas, il la sentit battre en lui.

Partout, dans les rues noires de monde, la haine des Allemands exaltait la foule. Flamands et Wallons oubliaient leurs querelles ; socialistes et conservateurs, la différence de leurs opinions.

Dans les cafés, dans les groupes, on parlait du service personnel, si longtemps retardé par les chefs catholiques… Ah ! si l’on avait su ! Mais on vivait si tranquille à l’ombre des traités. De la France, on n’avait rien à craindre : on lui devait le meilleur de la civilisation. Quant à l’Allemagne, qui eût mis en doute sa signature, qui eût pensé qu’elle méprisât l’honneur ? Aussi l’indignation tournait-elle à l’émeute, maintenant qu’on la savait parjure.

Des voix montaient de la rue :

— Mort aux traîtres !… À bas les espions !

Et la bête qui sommeille dans l’homme se réveillait, aveugle et cruelle. On brisait les vitrines des magasins