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L’EXODE

allemands ; on saccageait les brasseries de Munich ; les globes électriques, pendus au bout d’un fil, éclataient sous le pommeau des cannes, ainsi que de gros yeux épouvantés.

— La police !

Elle accourt, sabre au clair ; elle s’efforce à dégager la rue ; mais l’émeute, repoussée ici, se reforme ailleurs. On voit des furieux piétiner la lingerie d’un étalage, des voleurs emporter des robes, des apaches assommer des passants…

Mais des bonnets à poils ondulent à l’horizon de la foule.

— Sauve-qui-peut !

Entraîné par la tourmente, brisé, haletant, Philippe respire enfin dans une rue sombre et tranquille, où les boutiquiers effrayés s’empressent de descendre leurs volets…

Dans son quartier, tout est calme, tout a gardé la bonhomie des anciens jours. À la porte d’un cabaret, des gens fument la pipe devant un verre de bière ; sous les marronniers de l’Avenue Louise, des amoureux attardés marchent avec lenteur… Les étangs d’Ixelles se sont endormis, veillés par la lune. Les cygnes et les canards sommeillent sous les grands saules penchés au bord de l’eau…

Et Philippe, s’arrêtant, contemple ce paysage où survit la quiétude heureuse d’un monde qui déjà n’est plus.