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DEUXIÈME PARTIE

III

Bien qu’il eût à peine passé quarante-cinq ans, Frédéric Sauvelain était chauve et fort épuisé par les privations et les soucis de la vie d’artiste. Sa longue barbe commençait à grisonner et ses yeux profonds, sous la rudesse des sourcils, avaient quelque chose de fiévreux.

Mais quand son regard, d’un gris d’acier, s’immobilisait à vous écouter, deux plis amers se creusaient aux coins de sa moustache en cascade, pour peu qu’il soupçonnât le mensonge ou la dissimulation.

Il sifflotait alors, et son silence vous gênait, vous portait à rougir. Aussi n’avait-il guère avancé sa fortune.

Malgré son caractère sauvage, inhabile aux démarches de la réclame, il avait pu soutenir son ménage, élever son fils et peindre à sa manière, qui était rude et somptueuse.

Il était venu causer des événements avec Philippe. Assis sur le divan, dans le salon, il se lamentait à l’écroulement de la civilisation. Pensif, l’écrivain écoutait cet homme grave dont la vie entière avait été jusqu’alors une ascension pénible vers la beauté.

— Quand on pense, disait-il, accoudé sur un genou et le menton dans la main, quand on pense que nous nous sommes tourmentés toute notre vie, toi pour écrire une belle page, moi pour peindre un bon ta-