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DEUXIÈME PARTIE

Il lui était inconcevable que l’Allemagne eût renié sa signature, qu’elle jetât au panier les morceaux déchirés de son honneur. Car, enfin, un grand pays ne peut être parjure, sans ruiner du même coup les fondements de la civilisation.

— Toute notre société repose sur la valeur d’une signature !… Si les Allemands triomphent, à qui osera-t-on se fier ? À quel serment pourrons-nous croire encore ?

Et Frédéric, dans sa rage impuissante, arrêtait ses pas de fauve encagé :

— Ah ! se sentir vieux, désarmé devant ces soudards !

— Le plus grave, ajouta Philippe, c’est qu’ils ont empoisonné l’âme du monde. Ces gens-là se font gloire d’obéir comme des esclaves. Encore, si c’était à leur conscience ! Mais c’est à une poignée de bandits. Et ils s’enorgueillissent de leur puissance, qui n’est que l’abaissement de soixante millions d’individus !…

Frédéric se laissa tomber dans un fauteuil, et ses yeux brillèrent à l’image des jours d’horreur qu’on allait vivre :

— Comme ils bavaient tous, en parlant de la guerre, les sombres bestiaux !… Je me rappelle un amateur allemand qui me disait, l’année dernière : je comprends que la France nous en veuille, nous lui avons pris l’Alsace-Lorraine. Je comprends que l’Angleterre nous déteste, elle est jalouse de notre prospérité ; mais, vous autres Belges, vous devriez marcher avec nous, car c’est à nous, à notre industrie, à notre commerce que