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L’EXODE

vous devez votre richesse… Quant à votre Congo, il vous coûte cinquante millions par an ; vous êtes incapables de l’exploiter… D’ailleurs, tôt ou tard, vous ferez partie de notre empire, nous avons besoin d’Anvers. Et il me prédisait la guerre ; mais, comme tout le monde, je ne pouvais pas y croire, je ne pouvais pas m’imaginer que ce Philistin parlait sérieusement…

Un peu plus tard, quand Marthe et sa belle-sœur vinrent prendre un verre de champagne, ce fut en apportant un panier de provisions.

Longue et maigre, comme son frère, Mme  Sauvelain gardait une beauté de proportions que faisait valoir une attitude qui semblait toujours en garde contre les offenses et les humiliations. Ses traits, un peu secs, devenaient durs dans la colère, mais un joli sourire se jouait sur ses lèvres aux plus légères avances de sympathie ou de considération.

En la comparant à Marthe, on se plaisait à dire :

— Il s’en faut qu’elle soit aussi bonne ; mais elle est juste avec passion.

Elle était juste jusqu’à l’intolérance. Après vingt ans de fréquentation du monde artiste, où elle avait beaucoup nui aux intérêts de Sauvelain, elle y avait trop souffert pour n’être pas impitoyable à cette lutte féroce des égoïsmes qu’on nomme la société.

Ses opinions sur le monde s’accordaient avec celles de Philippe ; mais son frère, à force de lectures, était devenu tolérant Elle, au contraire, s’aigrissait avec l’âge. Elle se croyait une victime choisie du destin, qui