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DEUXIÈME PARTIE

déchaînait la guerre au moment où Frédéric touchait au but, après vingt années d’efforts… Et leur fils, qu’ils avaient eu tant de peine à élever, à conduire jusqu’au bout de ses études, jusqu’à la situation où il gagnait enfin sa vie, ce fils devait tout quitter pour combattre les Allemands !

Que de fois on avait eu peur de le voir gâter son avenir ; et Dieu sait si sa mauvaise tête avait inquiété ses parents ! De bonne heure, il s’était tourné vers les mathématiques, à l’étonnement de son père, qui n’y entendait rien. Imbu des idées de sa génération, le fils méprisait l’art, la morale austère, les scrupules que le vieux peintre tenait respectables ; et il parlait femmes, argent, automobiles, technologie, avec l’assurance d’un esprit positif qui veillait à ne point se laisser duper. Il dirigeait en France une fabrique dont les ouvriers avaient appris à le détester. Inflexible, comme sa mère, il se montrait dur à la moindre négligence, et le socialisme lui semblait un cancer industriel, qu’il extirpait de son mieux.

Le plus inquiétant de ses fredaines venait des femmes entretenues que séduisaient sa belle mine, son aplomb « nouvelle couche » et sa prestance de jeune boxeur. Il avait couru, au sujet de ses « amours », des histoires dont Frédéric s’était indigné. Mais le fils, haussant les épaules, avait déclaré « que ça se faisait couramment ».

Il semblait enfin s’être rangé ; il ne se raillait plus du mariage ; depuis un an, il avait payé ses dettes et se