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Page:Torcy (Blieck) - L'exode, 1919.djvu/89

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L’EXODE

Philippe, aidé de Sauvelain, dressa des lits jusque dans la bibliothèque.

Le peintre, chaque jour, se réfugiait auprès des Héloir. Incapable de travail, il feuilletait un gros dictionnaire de médecine pour se préparer à son rôle d’infirmier. Aussi bien l’art n’était-il plus qu’un souvenir, en un temps où la mort et l’incendie ravageaient le pays.

Quand les premiers blessés arrivèrent, on courut leur offrir des cigares et du vin.

Sales, poussiéreux, livides, ils emplissaient jusqu’aux plates-formes des tramways arrêtés sur le boulevard. Autour d’eux, la foule s’agitait à leur passer des fruits, des gâteaux, des billets de banque. Yvonne et Frédéric, aussi pâles que les soldats, s’informaient de leur fils :

— Léon Sauvelain, du cinquième de ligne ?

Mais les blessés, hagards, éperdus, n’avaient pas l’air de comprendre. Ils gardaient dans les yeux une épouvante, et on les sentait loin, bien loin de cette cohue dont le cœur se serrait à voir leur souffrance et leur misère. Cependant, ils apparaissaient transfigurés aux regards de la foule ; des linges boueux cernaient leur front plus royalement qu’un diadème, et leurs mains terreuses semblaient dorées par la gloire, par le feu des canons… Car c’étaient les vainqueurs de Liège, et les journaux, bientôt, déclarèrent qu’ils avaient sauvé l’Europe.

Frédéric n’en pouvait croire ses yeux éblouis : « L’OFFENSIVE ALLEMANDE ARRÊTÉE !… No-