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même conclusion et nos recherches historiques nous ont confirmé dans cette opinion.

Nous croyons que le problème moral n’a été ni négligé ni éliminé par Descartes. Il y a songé dès l’origine. « J’avois toujours, écrit-il en 1637[1], un extrême désir d’apprendre à distinguer le vrai d’avec le faux pour voir clair en mes actions et marcher avec assurance en cette vie ». Et ce n’est pas là une vue momentanée : il déclare dans la préface des Principes[2], que, pour donner aux hommes un corps de Philosophie tout entier, il devrait « traiter exactement de la Morale ».

S’il ne l’a pas fait, ce n’est donc pas seulement par prudence, c’est aussi parce qu’il l’envisageait comme le couronnement de toutes les sciences[3] et que le temps ne lui permit pas d’achever son œuvre.

Toutefois, pendant qu’il construisait « son logis », déjà préoccupé de bien vivre, il a commencé par se faire « une morale provisoire ». Il l’a exposée dans la troisième partie du Discours et dans ses lettres à la princesse Elisabeth et à la reine de Suède. « Si imparfaite qu’elle soit, elle peut être suivie pendant qu’on n’en sait pas encore de meilleure[4]. »

Elle est loin en effet d’être aussi insuffisante qu’elle est apparue à M. Brunetière. Née d’une double tendance qui divise éternellement la pensée humaine, le doute et le devoir, elle répond à un double besoin.

  1. Discours de la Methode, 1re partie.
  2. Lettre-Preface à l’abbé Picot, traducteur des Principes de la Philosophie. Œuvres de Descartes, edit. Cousin, t. III. p. 28.
  3. V. Preface des Principes, loc. cit., et Gabriel Séailles, Quid de Ethica Cartesius senserit ? Paris, 1883, p. 2.
  4. Preface des Principes, loc. cit.