Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/117

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même temporaire, en donnant à un monsieur quelconque des pouvoirs dont il serait, sans aucun doute, tenté de faire un mauvais usage la nuit. M. Grévy flairait le 2 décembre ; ce n’était déja pas si bête. — Il proposa de nommer un président du conseil des ministres pour un temps illimité et conséquemment révocable toutes les demi-heures. Avec la meilleure volonté du monde d’être désagréable à M. Grévy, nous sommes forcé de déclarer que ce projet fut la plus belle inspiration de sa vie. Faire un bail, ne fût-il que de quatre ans, avec un homme à qui l’on donne la facilité de semer des croix d’honneur dans l’armée, c’est s’exposer presque à coup sûr à ce qu’il le renouvelle de force sans vous demander si cela vous convient. On tombe une fois par hasard sur un Cavaignac et vingt fois sur un Bonaparte. — D’ailleurs, si nous pouvions douter un seul instant de la sagesse du projet de M. Grévy, nous serions confirmé dans notre opinion par ce fait, qu’il fut repoussé à la majorité de 653 voix contre 158. — Après l’élection du 10 décembre, M. Grévy continua de prêter son concours à la cause libérale, et, à propos de l’expédition de Rome, ne cacha pas qu’il lui semblait aussi étrange de voir la République française s’opposer à la constitution d’une République romaine qu’il lui paraîtrait amusant de voir un asthmatique, qui se trouverait bien d’un remède, empêcher un autre asthmatique de prendre le pareil. — Depuis le 10 décembre jusqu’au coup d’État, M. Grévy fut fidèle à la cause démocratique, sans toutefois se compromettre, et fit constamment de l’opposition à Louis-Napoléon, pas assez pourtant pour être compris dans les persécutions qui suivirent ce virement à main armée. Si nous insistons avec tant de persévérance sur le peu de désagrément que les opinions politiques de M. Grévy lui attirèrent, ce n’est pas par cet « esprit de dénigrement systématique » que M. le substitut de la République a dernièrement invoqué pour nous faire condamner par la neuvième chambre correctionnelle ; non… c’est que nous avons pour principe absolu de mesurer la valeur des républicains aux disgrâces dont ils sont l’objet. Nous ne connaissons pas de meilleur moyen de nous rendre un compte exact de leur mérite que de le peser avec cet instrument de précision que nous rendrons la licence d’appeler le persécutomètre, au risque de froisser l’ingénieur Chevalier. Vers 1867, M. Grévy venant d’être nommé bâtonnier de l’Ordre, rentra dans la vie politique et fut élu député de l’opinion démocratique par la deuxième circonscription du Jura. Il l’avait emporté avec tant d’avantage sur le candidat officiel, que l’année suivante, aux élections générales, le gouvernement impérial n’osa pas lui en opposer un autre, dans la crainte que son candidat breveté n’eût même pas la voix de tous les gardes-champêtres. Depuis cette époque jusqu’à l’Assemblée nationale de Bordeaux, M. Grévy a peu fait parler de lui, ce qui est peut-être le devoir d’une honnête femme, mais pas tout à fait celui d’un député. M. Grévy a été de nouveau élu président de l’Assemblée