Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/128

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de Saint-Cyr en 1815, il entra dans les gardes du corps de Louis XVIII, cette magnifique institution d’élite chargée de veiller spécialement à la conservation des cent-vingt kilos de gras double qui présidaient alors aux destinées de la France — Son avancement fut assez lent ; en 1834, c’est-à-dire à 41 ans, il n’était encore que capitaine, bien qu’il eût fait la campagne d’Espagne. Il paraît qu’à cette époque son intelligence n’avait pas encore acquis un développement remarquable ; mais on s’accorde à reconnaître que ce fut à partir de ce moment qu’elle commença à baisser. — En Afrique, il conquit plus rapidement ses autres grades ; il réussissait assez volontiers dans les occasions qui ne demandaient que de la bravoure. Il fut fait successivement colonel, maréchal de camp et enfin général de division le 3 août 1843. — En Afrique, il fut blessé deux fois : la première, dans la plaine de Médéah, et la seconde dans son amour-propre, en voyant que le gouvernement provisoire nommait le général Cavaignac gouverneur de l’Algérie à sa place. Le vrai caractère de M. Changarnier commençait à se révéler : incapable, mais ambitieux. — Il revint en France, où il trouva la République installée, ce qui lui fit à peu près le plaisir qu’éprouve un homme qui reçoit le bout du parapluie d’un passant dans l’œil. Cependant, il prit le dessus et se dit : Quand une chose vous déplait, c’est une raison de plus pour essayer d’en tirer parti. Il proposa donc ses services au ministre de la guerre et assura le gouvernement de « son dévouement. » — M. de Lamartine le nomma ambassadeur à Berlin ; mais il préféra rester à Paris où il pensait pouvoir mieux tirer parti de son sabre dans un avenir prochain. — En effet, les journées du 19 avril et du 13 juin 1849 lui fournirent l’occasion tant désirée de traiter les Parisiens comme des Bédouins, après quoi, il alla prendre le gouvernement de l’Algérie, et revint peu de temps après siéger comme député de la Seine sur les bancs de la Chambre. — Cavaignac lui confia le commandement de la garde nationale et des troupes de Paris, ce qui mit le comble à sa joie, car il avait toujours rêvé d’avoir dans sa main toutes les baïonnettes disponibles du département de la Seine, afin de pouvoir remplacer, à un moment donné, les discussions politiques qui pourraient surgir, par une fusillade vive et animée. — À partir de ce moment, et jusqu’au coup d’État, le général Changarnier eut une importance énorme aux yeux de tous les partis monarchiques, qui voyaient en lui un moyen d’arriver à leurs fins. Disposant seul de la force publique, il était choyé, gâté, adulé de tous, et sa situation ne pouvait guère mieux être comparée qu’à celle d’un secrétaire de théâtre que tout le monde cajole pour en obtenir une entrée de faveur. — Il va sans dire que les monarchistes d’alors, pas plus scrupuleux que ceux d’avant, ni même que ceux d’après, sans en excepter ceux d’aujourd’hui, mangeaient de caresses le général Chargarnier sans s’inquiéter s’il était des leurs ; ils baisaient la poignée de son sabre, voilà tout, et ne lui demandaient pas d’ai-