Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/129

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mer leurs mannequins respectifs ; ils savaient qu’il détestait la République cela leur suffisait ; car, de tous temps, les monarchistes de toute nuance se sont dit : « Avec un général qui monte bien à cheval et qui déteste la République, il y a toujours de la ressource. » — Cependant, si le général Changarnier laissait tout le monde compter sur lui, il ne promettait rien à personne ; il tint parole. — Après avoir soutenu le pouvoir de Louis-Napoléon et s’être flatté de rétablir l’empire, quand il voudrait, « aussi facilement qu’il ferait un cornet de bonbons, » il tourna tout d’un coup le dos au Président vers le commencement de 1851. Que s’était-il passé ? Le général avait-il eu des remords ? ou bien n’était-on pas tombé d’accord sur le partage de la peau de l’ours ? Voilà ce que l’histoire apprendra peut-être à nos fils. Quant à nous qui n’avons pas le temps d’attendre, nous nous faisons à ce sujet une petite conviction provisoire dans laquelle l’hypothèse « des remords » joue un rôle qui ne lui donnera pas d’extinction de voix. — Après cette rupture, Louis-Napoléon retira au général Changarnier le double commandement des troupes et de la garde nationale. N’ayant pas pu s’entendre avec lui, il ne voyait pas la nécessité de lui faciliter les moyens de s’établir à son compte, si l’envie lui en prenait. — Les monarchistes, vexés de voir que le Président décalait ce qui devait leur servir de point d’appui, essayèrent de donner au général Changarnier le commandement des troupes de l’Assemblée. Ils échouèrent. — C’est à cette séance que le général répondit de l’ordre sur tout ce qu’il avait de plus sacré en fait de bâtons de cosmétique. Il s’écria du ton déclamatoire qui lui est habituel : que l’on ne trouverait « pas un bataillon, pas une compagnie pour inaugurer l’ère des Césars » — Mandataires de la France !… délibérez en paix !… dit-il en finissant. — Le général Changarnier était presque aussi bien informé qu’un reporter du Figaro. Les mandataires de la France, suivant son conseil, délibérèrent en paix, et ne s’en réveillèrent pas moins, le 2 décembre, cousus dans leurs draps de lit et emportés à Mazas comme de véritables sacs de pommes de terre. — Le général Changarnier lui-même fut arrêté un des premiers, et banni de France par décret du 9 janvier 1852. — Quant à l’armée, dont la fidélité au devoir lui avait semblé hors de tout soupçon, on sait que, cette nuit là, le devoir et l’alcool se firent de mutuels concessions, et que nos soldats marchèrent aussi droit dans le sentier de l’honneur que de travers sur les trottoirs du boulevard Montmartre. — Depuis cette époque, M. Changarnier s’est retiré de la vie politique pour se livrer à des études de haute parfumerie. Il a poussé la science des aromates très-loin, et l’on prétend qu’il travaille à son propre embaumement depuis 19 ans ; toute la partie droite est finie, la gauche est très-avancée. — Une seule fois, en 1855, il est sorti de son silence pour adresser un violent démenti à M. Véron, qui, dans ses Mémoires d’un bourgeois de Paris, avait raconté qu’en 1849, M. Changarnier s’était offert à arrêter Cavaignac, Charras, Lamoricière et autres