Page:Touchatout - Le Trombinoscope, Volume 1, 1871.djvu/69

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une noble indignation, l’invention des chemins de fer. On cite encore, à l’appui de ce principe philosophique, un notable fabricant de seringues en étain de la rue des Gravilliers à qui la découverte de l’irrigateur moderne arracha un violent anathème que l’écho répéta jour et nuit pendant plus de huit jours. — Aux élections de mai 1869, M. Pouyer-Quertier perdit le bénéfice de la candidature officielle et échoua contre M. Desseaux, candidat démocrate ; le suffrage universel commençait à dégager son doigt que les préfets à poigne et les gardes champêtres de l’Empire lui avaient enfoncé dans l’œil jusqu’à l’aisselle. — Au mois de novembre suivant, M. Pouyer-Quertier se présenta aux élections partielles de Paris pour y venger son échec ; mais le charme était définitivement rompu, et il fut copieusement black boulé avec 9 000 suffrages contre 21 000 qu’obtint M. Crémieux. Il s’en consola en pensant qu’il n’était pas étonnant que M. Crémieux eut beaucoup plus de voix que lui puisqu’il avait une bien plus grande bouche. Depuis ce jour jusqu’à l’avènement de M. Thiers, M. Pouyer-Quertier se tint éloigné de la politique ; mais lors du traité de paix, il reprit une énorme importance. Il fut nommé ministre des finances et chargé, à plusieurs reprises, de négocier avec M. de Bismarck dont il obtint, à ce qu’ont prétendu certaines personnes faciles à contenter, des concessions si avantageuses pour la France qu’elles eurent pour effet d’arracher à la fois des cris d’enthousiasme à M. Thiers et des larmes de joie à M. Bismarck. À son retour et en récompense d’aussi importants services, M. Pouyer-Quertier reçut le grand cordon de la Légion d’honneur, pendant que le grand chancelier de l’Allemagne était comblé de félicitations et de pendules par l’empereur Guillaume pour l’intelligence qu’il avait déployée dans les négociations. Il serait bien difficile à ce propos de ne point songer à ce négociant qui, après avoir conclu une affaire dans laquelle il croit avoir enfoncé un de ses confrères, rentre chez lui et dit à sa femme : si tu savais comme je viens de rouler Durandard, pendant que Durandard dit à la sienne : j’ai joliment refait ce gros melon de Patafoin !… M. Pouyer-Quertier s’est encore immortalisé par une série de nouveaux impôts dont la liste, imprimée en tout petits caractères, tiendrait à peine sur les deux trottoirs de la rue de Rivoli. Comme tous ses devanciers, le gouvernement Pouyer-Quer-Thiers s’est efforcé de répartir assez justement les charges publiques pour qu’elles ne fassent qu’effleurer la bourse des millionnaires, et portent en plein sur le porte-monnaie des citoyens qui travaillent dix heures par jour pour trois francs vingt-cinq. On lui doit notamment l’impôt sur les allumettes qui ressemble à tous les autres en ce qu’il frappe exclusivement les gens qui souffrent et l’augmentation des ports de lettres qui a fait dire au Charivari : cet impôt est si absurde qu’on se récrie, mais que l’on ne se récrit pas.

Au physique, M. Pouyer-Quertier est gros et trapu. Ses favoris longs, sa carrure large et son génie étroit rappellent ceux de Jules Ferry. C’est à la fois le meilleur estomac et le plus mauvais