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C’était lui qui nous avait accommodé notre premier chien, un vagabond du nom de Poireau, adopté par Claude Tournevire, et cruellement sacrifié à nos gourmandises par un ex-garçon boucher.

Quel chien et quel accommodement ! On en a ratissé les gamelles jusqu’à les trouer, dans cette tannerie de Montreau où nous étions cantonnés à ce moment-là, avant de venir au plateau d’Avron. J’ai encore dans le nez le parfum de ce plat typique, fleurant le thym, l’oignon, le laurier et dominant l’acre odeur de cuir et de tan, dans laquelle nous marinions depuis huit jours.

C’est à dater de cette sauce, que Faraud fut définitivement sacré cuisinier de la première escouade de la 7e du 6e.


II


Ce matin-là, Faraud semblait morose.

Sa bonne figure d’enfant de chœur joufflu et rouge, avec des yeux clairs d’un bleu lavé et son collier de barbe châtain-pâle, ne se déridait pas, toute la peau du front se plissant en pomme de reinette, tandis que les ongles noirs de ses doigts courts grattaient énergiquement la toison touffue et frisée de son crâne épais.

Ce n’était pourtant pas son habitude, la mélancolie, à ce gros garçon, dont la graisse réjouissante enveloppait douillettement le corps comme la barde de lard enveloppe la grive effrontée et gourmande.

Sous la capote et le képi du moblot, on retrouvait la gouaillerie fanfaronne, la flème invétérée, le goût des siffloteries musicales, qui caractérisent, au bout de la longue échelle double, sous la blouse blanche et le bonnet de coton à raies de couleur, ce type bien particulier et bien connu, le peintre en bâtiments.

Paresseux avec délices, d’une de ces paresses absolues, de ces complets avachissements de la chair qui sont presque désarmants à contempler, il passait des heures et des heures dans des vautrements d’animal engraissé, la pipe au coin de la bouche ou roulant de perpétuelles cigarettes, qui, toutes, entre ses doigts, prenaient immédiatement l’aspect tordu, la couleur jaunâtre de ces objets hideux, tenant plutôt de la chique et appelés en argot de voyou, un mégot, que suce, autant qu’il les fume, l’ouvrier parisien.