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Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/107

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jour, entrèrent dans la rivière de Cauaille, dont les eaux noires sont peuplées de petites tortues, qui nagent ou se reposent en compagnie sur la haute racine des palétuviers.

…………………….

Après avoir voyagé tout le jour en chaises à porteurs à travers un paysage tournant, tout à tour bizarre ou magnifique, ils atteignirent vers le soir les dernières crêtes de la montagne. Hubert, qui connaissait la route et le « tram » prochain, où les attendait un repas, proposa à Christiane de marcher un peu, pour goûter mieux à deux la douceur de l’heure. Elle accepta ; et lui prit dans le palanquin sa Winchester, qu’il mit en bandoulière. Les porteurs, laissés libres de prendre de l’avance, et que des jappements de tigre, à deux ou trois reprises, avaient défavorablement émus, gagnèrent au pied, sans se faire prier davantage. En haut de la côte, leur troupe agile se découpa un instant, tout en noir, sur la nacre du couchant, où pendaient encore, du côté de la lointaine France, quelques lambeaux d’une pourpre assourdie.

La nuit, cependant, était tout à fait tombée : une nuit criarde, bruissante d’insectes, d’oiseaux, de bêtes inconnues. Dans le lit desséché, mais frais encore, des cascades, c’était un sifflement innombrable, et mille lucioles menant dans l’air leur danse lumineuse.

— Comme on se sent plus apte, dit Christiane, à goûter après l’opium le charme des choses. C’est que ce bénarès du sampan ne s’est pas encore dissipé de ma cervelle…

— J’espère, interrompit Hubert, que vous n’y avez pas