Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/122

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Et, d’une ombrelle irritée, Lœtitia dénombre tour à tour, du Ponant au Levant, un Caron maigre, un Léandre gras, un Gabriel Ferrier menaçant, comme un temps d’orage.

Il n’y a pas à dire : ce sont des dames en noir.

— Mais en revanche, observe le vieux Monsieur, regardez ces danseuses de Loysel : joli surtout pour table de famille. Elles sont neuf, comme les Muses… si les Muses se déshabillaient. Ah, que j’aurais plaisir à vous voir, à l’envi d’elles, pleine d’une ivresse sacrée, et voilée, pour tout linge, d’une poussière d’or. Comme l’a si bien dit un auteur célèbre, chez qui le naturel se mêle à la subtilité, et qui laisse tomber de sa plume des métaphores plus belles que la perle ou que l’ambre rouge : « Souvenez-vous, Lœtitia, que le silence est la plus belle parure d’une femme. Puissè-je vous en voir, un jour, uniquement revêtue ».

Mais Lœtitia, pour le moment, s’absorbe à contempler une des petites danseuses d’or :

— Elle est jolie, dit-elle : cette Cambodgienne, habillée d’une galure.

— Elle n’est pas ressemblante, fait le vieux Monsieur.

— Pas ressemblante ? Et qu’en savez-vous, je vous prie ?

— Je… je…, explique son compagnon. Mais, devant l’œil de la jeune modiste, il renonce à s’engager plus avant dans la voie des confidences indochinoises.

— Et de l’autre côté, qu’est-ce que c’est que cette vitrine, avec tous ces gens collés dessus, comme des moules sur un bateau ?