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BÉHANZIGUE

— J’étais en déplacement… Trois mois pour vagabondage.

— C’est donné. Et je paie dix que tu allais de ce pas au Zanzi des Cœurs ?

— Tu as gagné une verte que je t’offre sur le fruit de mes sueurs.

— Ça colle. Et puis on ira déjeuner chez moi.

Au Zanzi des Cœurs, la compagnie n’était pas très nombreuse encore. Béhanzigue, qu’on y sentait populaire, serra quelques mains :

— Bonjour, Eulalie. Bonjour, la Raqueuse. Père Zanzi, deux tomates !

Ces boissons furent suivies d’un vermout Expor’ pour Chantepouille, et d’une autre absinthe pour son compagnon.

— Hélas ! disait-il — et les deux jeunes femmes étaient suspendues à ses lèvres — hélas ! tout n’est que décadence, abaissement. Les prisons elles-mêmes ont perdu leur charme avec leur imprévu. Personne n’y cultive plus de fleurs dans les préaux ; et qui comprendrait aujourd’hui, parmi ces âmes prosaïques, ce que c’était naguère que la fille du geôlier ?

— La fille du geôlier ? demanda la Raqueuse, à qui ces mots rappelaient des titres de romans-feuilletons. Vous l’avez connue ?

— Si je l’ai connue ! Et cueillie… La dernière, ce fut dans ce château de Touraine d’où l’on voit un fleuve blond se recourber au loin et de ces peupliers au pâle feuillage, qui