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Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/18

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Longtemps Eulalie a couché de droite et de gauche : chez des peintres, sur un divan ; chez des amies qui l’enjambaient au matin, pour faire du chocolat ; chez des problocques redoutables qui lui volaient son linge. Aussi a-t-elle réduit celui-ci au strict : une chemise et des chaussettes. Les dames de la Nouvelle-Guinée en ont-elles autant ? Mais, aujourd’hui, elle a un domicile, dans une petite rue de l’autre côté de la Caulaincourt, une petite rue où il y a des poules. C’est là qu’elle habite avec son amant, Gustave-Alphonse, dit Dauphin, Dos-Fin ou Doffain, un joli blond aux yeux noirs, dont on n’a jamais bien su s’il était barman, reporter-cycliste ou voyageur ès-cartes postales. Pas féroce au demeurant : une frappe, voilà I Comme il y en a au sein des meilleures familles. On n’est pas fixé sur la sienne. Au moins ne l’avait-elle pas tout à fait laissé sans culture : et c’est lui qui, dans un moment de bonne humeur, en souvenir d’un pot-au-feu bien connu avait baptisé son amie : Mlle de Papin. Ce qui, obscurément, la flattait, à cause de la particule. Et peut-être en aurait-elle fait faire des cartes, si la rime ne lui avait paru de mauvais augure.

Gustave est même poète, à ses heures. On le voit, dans ses vers, s’élever, si on peut dire, au-dessus de sa condition et exprimer des sentiments très purs sous une forme un peu laborieuse. C’est alors qu’il chante le printemps, la mélancolie, et Eulalie surtout. Ecoute, lui dit-il :

Ecoute : parlons bas. Dis-les près de l’oreille, Les aveux frissonnants comme une aile d’abeille, Que l’amour et le soir t’inspirent ! Parlons bas.