Page:Toulet - Béhanzigue, 1921.djvu/84

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On était au 13 juillet, et un de ses camarades l’avait entraîné, vers dix heures, au petit bal qui se donne sur la place Saint-Augustin. Il devait y retrouver une « connaissance » à lui, ouvrière en lingerie, qu’il aperçut en effet presque aussitôt au bras d’une autre jeune fille. La vue de celle-ci le frappa sans qu’il sut pourquoi, et, comme on les avait laissés seuls, il restait devant elle à la regarder sans rien dire. Menue, un peu courbée, elle laissait voir cette grâce souffreteuse qui est comme le cachet dont Paris marque ses filles. Mais la clarté rougeâtre des lanternes faisait distinguer mal ses cheveux blond cendré, ses yeux timides à la fois et vifs, la délicate retombée de ses lèvres, qu’on eût dites teintées de pastel rose. Tout à coup une lumière passa dans son regard.

— Est-ce que vous n’êtes pas René Lampourde, dit-elle ?

— Et vous Christine ?

De nouveau ils demeuraient muets. Les yeux de la jeune fille étaient fixés sur lui, mais ils semblaient regarder au travers : qui sait, leur enfance peut-être, la cour verte et noire, et René l’embrassant contre la pompe, et le trottoir devant le charbonnier où l’on traçait à la craie les hiéroglyphes de la marelle. Aujourd’hui, elle était commise dans un magasin de blanc du boulevard Haussmann, comme elle l’apprit au jeune typographe, quand ils se furent mis à causer. Il demanda la permission de l’aller chercher quelquefois à la sortie, et elle le regardait, en inclinant la tête, avec un pâle, triste et terne sourire.

Cependant, leurs compagnons avaient disparu. Comme