Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sortir les talons par la bouche ! » Et il finissait par envoyer demander à Bauch pourquoi il ne faisait pas marcher les chiens. Alors Bauch demandait de la vodka, buvait et remontait à cheval ; et de nouveau retentissait l’hallali magistral.

― Vous chassiez, je crois, Louka Petrovitch ?

― J’aimais en effet… mais plus maintenant… mon temps est passé… Quand j’étais jeune… Vous concevez que dans ma situation cela ne convient guère. Le bon sens nous ordonne de nous tenir à distance des nobles. Et quand un des nôtres, quelque ivrogne ou quelque fainéant, veut se rapprocher d’eux, quel plaisir y trouve-t-il ? Il se couvre de honte. On lui donne à monter des rosses boiteuses, on lui enlève son bonnet et on le jette à vingt pas dans les roseaux ; sous prétexte de frapper sa rosse on le frappe lui-même, et il faut toujours qu’il rie et fasse rire les autres. Non, je vous dirai, plus on est petit, plus on doit avoir de réserve, autrement on est vite souillé. Ah ! continua Ovsianikov en soupirant, les traces de bien des hommes, des chiens, des renards et des loups se sont effacées sur le sol depuis que je vis et vois des temps nouveaux. Les nobles surtout sont très changés. Les pomiéstchiks ont tous été au service ou du moins ne restent plus sans bouger