Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/134

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que nous avons perdu de vue l’objet de notre réunion, lequel est la délimitation des terrains, œuvre avantageuse aux propriétaires. Mais quel est le but réel de cette opération ? Ce but est d’améliorer la situation du paysan, de faciliter son travail, en répartissant équitablement ses charges. N’est-il pas très malheureux que le cultivateur de la terre ignore lui-même quel champ il doit cultiver, et s’en aille souvent labourer à cinq verstes ? C’est un devoir sacré, ajouta-t-il. Nous devons soulager le moujik, assurer son bien-être. À y bien réfléchir, ses intérêts et les nôtres sont les mêmes ; ce qui lui est bon nous est bon, ce qui lui nuit nous nuit. Il serait donc, de notre part, déraisonnable et même coupable de nous disputer à propos de vétilles… » Il parla, il parla… Ah ! comme il a bien parlé ! Cela allait droit dans l’âme. Les nobles étaient attendris, et moi j’ai failli pleurer. Parole ! vous chercheriez vainement dans les vieux livres un aussi beau discours. Mais comment tout cela a-t-il fini ? Il fut tout le premier à refuser de laisser partager quatre déciatines de marécages, et ne consentit pas non plus à les vendre. « Je les ferai dessécher par mes gens, dit-il, et j’établirai là une fabrique de draps, où l’on exploitera les nouveaux procé-