Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dessins. Il a une chemise rouge et un cafetan aussi de cocher. Il porte toute sa barbe, et tout son aspect est si bizarre qu’on le croirait ivre, et sûrement il n’est pas dans son assiette.

― Bonjour, enfants ! dit-il, que Dieu vous garde !

Les moujiks saluent silencieusement, un peu intimidés ; Lioubozvonov lui-même était gêné. Pourtant il reprit :

― Je suis Russe et vous êtes Russes ; j’aime tout ce qui est russe, j’ai une âme russe et tout le sang qui coule dans mes veines est tout russe.

Puis, brusquement, il commanda :

― Eh bien donc, enfants ! chantez-moi un chant national russe !

Les moujiks tremblaient ; ils étaient tous ahuris ; un audacieux lança un éclat de voix, mais aussitôt parut rentrer en lui-même et alla se cacher honteusement derrière les autres. Nous avons vu des seigneurs bizarres, déjà, têtes brûlées, ivrognes : ceux-là s’habillaient en cochers, dansaient, jouaient de la guitare, chantaient, faisaient la débauche avec les dvorovis et les moujiks… Mais ce Vassili Nicolaïtch est une jeune fille : il lit ou écrit sans cesse, ou bien il dit des vers tout haut ; il ne parle à personne, on croirait qu’il se cache. Il se promène