Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/136

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nable. Le mal, c’est qu’ils aiment trop à subtiliser, et puis ils se conduisent avec le moujik comme avec le pantin de leur première enfance. Ils le tournent, le retournent, le cassent et le jettent. L’intendant, le serf ou le régisseur, un Allemand, ramasse le moujik cassé et ne le lâche plus. Même si un jeune seigneur donnait l’exemple et montrait comment il faut agir, comment encore tout cela finirait-il ? Je mourrai sans avoir vu l’ordre nouveau des choses. Quoi donc ! ce qui était n’est plus, ce qui sera n’est pas encore.

Je ne trouvai rien à répondre. Ovsianikov regarda autour de lui, se rapprocha de moi et me dit à demi-voix :

― Vous avez sans doute entendu parler de Vassili Nicolaïtch Lioubozvonov.

― Non.

― Quelles étranges choses ses moujiks eux-mêmes ont racontées sur lui ! Leurs récits d’ailleurs ne m’expliquent rien. C’est un jeune homme qui vient d’entrer en possession de son héritage maternel. Il arrive dans l’habitation matrimoniale, les moujiks se réunissent pour voir leur bârine. Vassili Nicolaïtch se montre. Les moujiks regardent. Quel singulier spectacle ! Leur bârine porte un pantalon de peluche, on dirait un cocher. Ses bottes sont brodées de