Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/234

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

licot. Elle saisit des deux mains la corde de son panier, et regarda le vieillard avec inquiétude.

— Non, elle ira bien, répondit-il du même ton indifférent et paresseux.

Annouchka disparut dans l’épaisseur du bois. Kassian la suivit du regard, puis baissa la tête et sourit. Dans ce long sourire, dans les quelques paroles qu’il avait dites à l’enfant, dans le son même de sa voix, il y avait un amour indicible, une tendresse passionnée. Il regarda encore dans la direction qu’elle avait prise, sourit de nouveau et, passant la main sur sa figure, secoua la tête.

— Pourquoi l’as-tu si vite renvoyée ? lui demandai-je, je lui aurais acheté des champignons.

— Eh bien, vous pourrez en acheter à la maison, si vous le voulez, me répondit-il en employant pour la première fois le mot vous.

— Elle n’est pas ta petite ?

— Non… quoi !… répondit-il comme malgré lui, et il retomba dans son mutisme primitif.

Voyant que tous mes efforts pour le faire parler étaient vains, je me dirigeai vers la coupe. La chaleur était tombée, mais la malchance me poursuivit, et je dus regagner les métairies avec un essieu neuf et mon unique râle de