Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/241

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heures, sectateur d’Épicure. D’ailleurs il méprise la philosophie en général, qu’il traite de « vaporeux aliment des âmes allemandes » ou, plus bref de « sottise ». Il aime la musique : en jouant aux cartes, il fredonne avec sentiment du bout des dents. Il se souvient de Lucia et de La Sonnambula — mais il prend un peu trop haut. Il passe l’hiver à Saint-Pétersbourg. Sa maison est merveilleusement ordonnée. Les cochers mêmes subissent son influence au point qu’ils nettoient, non seulement leurs harnais et leurs armiaks, mais encore leur visage. Les dvorovi d’Arkadi Pavlitch sont, il est vrai, un peu taciturnes — mais en Russie on distingue malaisément le morose de l’endormi. Arkadi Pavlitch a la voix onctueuse, il mesure sa phrase et filtre voluptueusement chaque vocable à travers ses belles moustaches parfumées. Il assaisonne volontiers ses discours de quelques expressions françaises telles que : « Mais c’est impayable ! mais comment donc ! etc. » Malgré tout, je ne le visite pas très volontiers et, sans les coqs de bruyère et les perdrix, il est probable que j’aurais cessé de le voir. On souffre de vagues inquiétudes chez lui ; tout ce luxe de bien-être n’a rien de réjouissant, et le soir, quand le valet de chambre frisé, en